(Maki Matsumoto) I died like a shade

Il faisait beau, ce jour-là.

C'est tout ce dont elle se souvenait. La caboche pleine de vide, tambours de guerre aux tempes, la fuite aux tripes. Et la nausée. Surtout la nausée. Il faisait beau et si elle avait su, elle aurait sans doute passé plus de temps à fixer le ciel, troqué contre le plafond bétonné d'un sous-sol en périphérie de... où, finalement ?
Elle a beau fouiller, la mémoire en lambeaux ne trouve que routes sinueuses observées entre deux lattes, embouteillages étouffés et pollution à plein poumons. Ils pourraient être partout et nulle part à la fois. Quelle importance. Plus personne pour venir les chercher, vendue d'une main à l'autre.
Le regard fixé sur le néon vacillant comme un métronome, le pantin désarticulé aux orbes éteintes compte les secondes, les minutes, les jours.
On. Off.  On. Off.  
Six cent cinquante sept fois par heure, pupille vissée à tout ce qui lui reste de firmament, fragment d'étoile délétère.
Quatre-Cent Cinquante-Deux. Elle a compté. Quatre-Cent Cinquante-Deux jours que son horizon s'étréçissait toujours plus, dans le chas d'un aiguille, que les c-is des autres rythmaient les nuits sans lune. Qu'elle priait. Lâchement, pour ne plus jamais être la prochaine, que le silence ne lui fasse plus défaut.
"Laissez-nous partir !" qu'elle avait eu l'audace de l'ouvrir, explosive frustration, la voix qui tonne, pourtant atone. C'était sorti tout seul, dégueulé au bord des lèvres qu'elle avait gardées serrées trop longtemps, poussant les camarades d'infortune à la rébellion.
Égoïste hypocrite, sans doute, l'espoir de profiter de la fatigue, du chaos, pour s'enfuir. Alerter les autorités - Laisser les autres crever à leur sort, plutôt.
Les mains sur sa nuque, les genoux sur ses reins. Le goût du fer entre les dents serrées. Un hurlement à en perdre la voix.
Eteindre la révolution dans l'oeuf.
Nettoyer les mauvaises herbes.
Briser les fortes têtes.
Montrer l'exemple.
L'échine frissonne encore du poinçon sous le derme, martelé le long de la colonne, l'inlassable litanie des gémissement étouffés, la gorge noyées sous les écailles du dragon. L'encre toujours vive dévale ses tempes, enflamme l'angle de la mâchoire d'un feu glacial. La moitiée de la face plaquée contre le béton crasseux, elle cherche le soulagement dans la fraîcheur du sol.
Ephémère apaisement.
Elle ose à peine fermer un oeil, de peur d'être réveillée en sursaut. La main d'un des hommes du Kyokutō-kai s'enroule autour de sa cheville, silhouette désarticulée trainée dans toute la chambre de fortune. Elle se recroqueville quelques secondes, étouffe la rage qui gronde toujours, phalanges blanchies par la pression.
Puis plus rien.
Dans un silence assourdissant, les corps se mettent à tomber, suivant la danse macabre de celui qu'elle pense être son sauveur.
Il a tout ce qu'elle n'a pas. L'arme dans la main, la détermination d'arracher aux autres ce qu'il a envie. Le pouvoir.
Dans une furie sanglante, il disparaît avant même que les derniers corps n'aient fini d'expirer leur dernier soupir.

Les infortunées prennent la fuite sans attendre. "Hatsuharu... S'il-te-plaît...viens." souffle au creux de son oreille sans qu'elle ne relève, dédain évident. Vengeance motifère sur les traits.
Elle rampe, dans le sens opposé de la sortie. Ses phalanges attrapent la première chose qu'elles peuvent aggriper. S'enroulent sur les clés de la cage, se saisissent de l'aiguille encore gorgée d'encre. Traîne la carcasse émaciée jusqu'au premier venu, la respiration encore sifflante.
On frappe. Une fois. Deux fois. Six cent cinquante sept fois.
Entre ses doigts s'écoule la rivière carmin, torrent de lave en geysers cramoisis, que les phalanges peinent à de distinguer encore, pressées sur les lèvres béantes d'un canyon écorché. Un sanglot étranglé secoue la silhouette. Râle rauque au fond de la gorge, hurlement intérieur. Passe au suivant. Et ainsi de suite. Jusqu'à ce que le seul souffle, le seul palpitant résonnant encore à ses tympans soit le sien et que la colère finisse enfin par s'éteindre, dans un amas de cendres imbibés d'incarnat.
Elle se redresse, titube sur les jambes mal assurées et s'extirpe de l'antre du Diable, pour se jeter dans un nouvel Enfer.

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L'odeur du sang semble imbiber jusqu'à ses cheveux. Elle a eu beau se tremper dans la rivière la plus proche, elle semble incapable de s'en débarrasser. La carne sale grogne légèrement, rentre le cou dans les épaules et le vieillard aveugle éclate d'un léger rire éraillé. "Inutile de me regarder de la sorte." Ricane bassement en la fixant de son regard laiteux.
Le pantin s'agite légèrement, ondule pour le tester, cobra maladroit. Il s'en amuse un peu, jusqu'à ce que ça ne l'amuse plus et qu'il lui fasse payer le temps perdu au centuple.
Vengeance qu'il a promis. Et vengeance elle suivra. Une couronne drapée de pourpre qu'elle ira arracher des mains des dirigeants de la Main, trône noyé de grenat sur lequel elle viendra s'asseoir sans peine.
Izo a promis. Aveuglément et parce qu'elle n'a rien d'autre, le pantin s'accroche aux liens qui la font de nouveau se mouvoir. Sans ça, elle en est sûre, elle s'écroulerait.

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La pluie recouvre New York d'un voile bruyant, omniprésent.
Alors qu'un soupir s'échappe à peine de ses lèvres, elle laisse son index vagabonder le long de ses pomettes, s'arrêter contre sa clavicule pour la repoudrer avant de remonter le col de sa chemise, d'un geste maîtrisé.
Maki n'a jamais aimé la pluie. Elle l'aime encore moins maintenant qu'elle sait quel genre de monstres semblent mieux s'en accommoder que d'autres.
A vrai dire. Maki n'aime pas vraiment le soleil brille trop for non plus. Elle se satisfait d'un temps maussade au mieux, d'une ombre allongée qui en appelle une autre. La neutralité lui sied, il n'en est que plus aisé de passer de l'ombre à la lumière.
Dire que Master Izo avait décidé que la neutralité lui allait mieux serait plus exact. Et Master Izo ne se trompe jamais.
Elle le suivrait jusqu'au bout du monde, y compris en rampant aux pieds d'un autre, infiltrer la Main pour mieux la dominer. Phalange par phalange. Tant que la zone qu'elle convoite est libre... Profiter du chaos des autres pour son ascension égoïste.
Dans un flash, les lames dansent entre ses doigts et disparaissent aussi vite qu'elles sont apparues.
Elle inspire profondément et commence à compter, réglée comme un métronome. Néon vacillant imprimé à l'arrière de ses pensées.
On. Off.  
Six cent cinquante sept secondes.